Par Hong Kong Fou-Fou
"Bienvenue à tous au pays des champions ! Accueillons tout de suite... Julien Lepers !!!
(...)
- Martine et Gérard sont prêts ? Place au jeu ! Télévision. Top. Je suis une série télé d'aventure et d'espionnage des Sixties produite par Denis Spooner et Monty Berman...
- Département S ?
- Non Gérard. Top. Produite par Denis Spooner et Monty Berman pour la firme ITC...
- Le Saint ?
- Toujours pas Gérard. Top. Je mets en scène un deux hommes et...
- Je sais ! Je sais ! Amicalement vôtre !!!
- Quelle impétuosité Martine ! Non, malheureusement. Je disais donc, je mets en scène deux hommes et...
- Le Prisonnier ?
- Pardon, Gérard, mais j'ai dit deux hommes.
- Justement ! Le N°6 et le N°1, son alter ego torturé, qui représente la vraie personnalité que chacun d'entre nous essaie de dissimuler derrière la lisse façade des convenances que nous impose une société castrée devenue castatrice par réaction. Contrairement à ce que le titre pourrait laisser à penser, le Prisonnier n'est pas le N°6, retenu contre son gré au Village, mais bien le N°1, étouffé par les à-priori d'une société bourgeoise. Au secours, que personne ne bourge ! Et je ne parlerai même pas du rover, cette grosse boule blanche qui asphyxie le non-héros de la série. Que croyez-vous qu'elle symbolise ? Rien d'autre qu'une bulle de chewing-gum, et par là-même l'impérialisme américain qui asservit les peuples et qui...
- Cher public, je vous rappelle que Gérard est titulaire d'une licence de socio, d'un master de psycho, qu'il est abonné à Télérama depuis qu'il a 8 ans et que, accessoirement, il met mes nerfs à rude épreuve depuis trois semaines de victoires consécutives. Et j'aimerais vraiment, Martine, que vous fassiez un petit effort pour que ça s'arrête là. Bien, je me reprends, et je reprends : donc, non, la bonne réponse n'est pas "Le Prisonnier". Top. Je mets en scène deux hommes et une séduisante jeune femme...
- Alias ?
- Alias, Gérard ? C'est américain, c'est contemporain, ça ne correspond en rien à ce que je viens de dire, que vous arrive-t-il ?
- Oui mais il y a une séduisante jeune femme ! Jennifer Garner, quand même ! Celle-là, je la baiserais mal, mais je la baiserais bien (© Manu)...
- Gérard, je préfère encore quand vous nous assénez vos poncifs pseudo-intellectuels... Alors, je raconte des histoires d'espionnage mais avec une touche de fantastique et de surnaturel...
- Chapeau melon et bottes de cuir ?
- Toujours pas. Top. Mon nom présente une ressemblance avec le titre de cette émission. Je suis ? Je suis ?...
- La question ?
- La question ? Mais n'importe quoi ! Les Champions, bien sûr ! Bon sang mais ce n'est pas possible, qui m'a fichu des branquignols pareils !?!
Ce moment télévisuel, évidemment authentique, est révélateur de l'oubli dans lequel sont tombés les Champions et auquel a échappé la multitude d'autres séries d'espionnage ou policières de la même époque. "Le Prisonnier", tout le monde s'en souvient et écrit des thèses dessus, Gérard y compris. "Chapeau Melon et Bottes de Cuir", c'est un incontournable de la télé, au même titre que les "Jeux de 20h" ou la "Chance aux chansons".
Quand on évoque "Les mystères de l'Ouest", "Max la Menace", "Mission impossible" ou "Le Saint", on sourit en pensant avec nostalgie "Qu'est-ce que c'était bien !"
Pour "Des Agents Très Spéciaux", là il y a du monde ! Pour "Mannix" ou "Kojak", on se bouscule. Mais pour "Les Champions", c'est l'amnésie générale. Tout le monde s'en fout. Alors il est temps de redorer un peu le blason de cette série mésestimée.
A ce stade, j'ouvre une parenthèse :
Fidèle lecteur aussi inconnu que respecté, tu as maintenant deux options : soit tu arrêtes là ta lecture, tu te contentes de tourner la molette de ta souris pour aller regarder un peu les photos, plus bas. Mon but sera de toute façon atteint : pendant quelques minutes, tu penseras aux Champions. Peut-être même te fendras-tu de quelques euros pour commander l'intégrale de la série en DVD... Attends deux secondes, je regarde chez qui tu peux la trouver... Quoi ? 95,95 euros chez Priceminister ?? Article de collection, qu'ils disent ! Ben je vais garder précieusement mon coffret !
Ou alors, tu continues à lire, et là tu risques de souffrir un peu. Le texte qui suit, je l'ai écrit il y a bien longtemps, il était destiné à un fanzine qui n'est jamais sorti (pour les jeunes, un fanzine est un magazine amateur photocopié à la sauvette sur son lieu de travail et diffusé à onze exemplaires). Je le reproduis tel quel, après l'avoir un peu raccourci et ajouté quelques tentatives d'humour... Même moi, je me suis assoupi deux fois en me relisant, alors si tu craquais avant la fin, je ne t'en tiendrais pas rigueur.
Je ferme la parenthèse.
Les Champions, une série qui n'a pas eu la reconnaissance qu'elle mérite, malgré pourtant de nombreux points communs avec d'autres créations qui, elles, ont trouvé le succès. On suit les aventures d'un trio d'agents secrets, composé de deux hommes, Craig Sterling et Richard Barrett, élégants et raffinés (comme Napoléon Solo, Simon Templar ou John Steed) et d'une femme, Sharron Macready, au charme indéniable (comme Emma Peel ou Cinnamon), appartenant à NEMESIS, une organisation ultra-confidentielle (comme l'UNCLE ou CONTROL), luttant contre des puissances occultes ou des méchants au cerveau dérangé visant à conquérir le monde (comme dans toutes les autres séries). Mais les trois agents en question ne sont pas comme leurs illustres confrères. En plus des aptitudes "classiques" que tout espion qui se respecte se doit de posséder (comme savoir désamorcer une bombe, localiser la ville d'Ekibastuz sur une mappemonde ou enlever discrètement avec un cure-dent un brin de persil coincé sur sa gencive au cours d'un cocktail mondain), ils disposent de pouvoirs surhumains, pouvoirs qu'ils ont acquis au retour d'une mission en Chine communiste, après que leur avion se soit écrasé dans les solitudes enneigées du Tibet. Recueillis par un peuple étrange et mystique, ils ne rejoindront notre civilisation qu'après avoir été dotés par ces êtres d'un autre temps de facultés fantastiques, télépathiques notamment, qu'ils vont mettre à profit pour, comme le dit le générique, "devenir les champions de la loi, l'ordre et la justice". Un sacré boulot en perspective. Seule contrainte imposée par leurs bienfaiteurs : les trois rescapés doivent garder le secret et ne révéler à personne l'existence de ce peuple. Il ne veut pas qu'un Club Med ouvre au milieu de ses belles montagnes, et on le comprend.
Le concept des Champions est né dans le cerveau génial de Dennis Spooner (célèbre outre-Manche pour la série de SF inédite en France "Doctor Who". L'originale, évidemment) et de Monty Berman ("The Baron"). Nous sommes en 1967 et les Avengers (produits par la firme britannique ABC) se taillent un beau succès dans une quarantaine de pays du monde, les USA surtout, qui représentent un marché juteux pour les compagnies de production anglaises. Pour ceux que ça intéresse, 1967, c'est aussi l'année où Hong Kong Fou-Fou a poussé ses premiers "Kiai", mais c'est une autre histoire. ITC (à qui l'on doit effectivement "Département S", Gérard n'avait pas tout à fait tort) veut contrer ABC en produisant une série d'espionnage qui innove vraiment. Les trois Champions n'arriveront cependant pas à surpasser le flegmatique John Steed et sa charmante collaboratrice de l'époque, Emma Peel. La série ne dépassera d'ailleurs pas les trente épisodes.
Mais revenons à la genèse des Champions. Les deux compères, le script de l'épisode-pilote sous le bras, vont donc trouver Cyril Frankel, qui était en train de terminer le film "The Witches", basé sur un scénario de Nigel "Quatermass" Kneale, pour la célébrissime Hammer. Berman connaissait Frankel pour avoir déjà travaillé avec lui sur "The Baron". Très rapidement, Frankel, passionné de méditation et de philosophie orientale (moi, c'est plutôt les timbres), se montre très intéressé par ce projet qui fait la part belle à la puissance de l'esprit. Il devient ainsi "consultant créatif" pour les Champions, un terme à la signification vague mais aux implications immenses: c'est à lui qu'échoit la lourde tâche de donner son style à la série, en réalisant les premiers épisodes; c'est lui qui choisit une grande partie du casting ainsi que certains des réalisateurs qui lui succèderont.
Les trois Champions sont Craig Sterling (interprété par Stuart Damon), Sharron Macready (Alexandra Bastedo) et Richard Barrett (William Gaunt). Quant au rôle de Tremayne, le patron de NEMESIS qui ne comprend jamais comment ses protégés réalisent de tels exploits, il revient à Anthony Nichols, vieux briscard de la télé et du cinéma. Cyril Frankel ne peut pas revendiquer seul le choix de cette excellente distribution. Il a accordé plusieurs entretiens à Alexandra Bastedo et a été subjugué par sa beauté. Comme le personnage féminin de la série naissante se doit d'être agréable à regarder, Frankel la propose pour le rôle. Après les auditions de rigueur, les dirigeants du projet ont du mal à se décider. Finalement, c'est la chaîne de télévision américaine NBC, qui a acheté les droits de diffusion de la série avant même le premier tour de manivelle, qui insiste pour qu'Alexandra Bastedo obtienne le rôle. La carrière de la jeune actrice n'a pas encore décollé. Elle a surtout fait de la figuration et n'a qu'un vrai rôle à son actif, dans "Casino Royale", la très réussie parodie de James Bond, trop souvent mal jugée des critiques comme du public. L'engagement de Stuart Damon pour le rôle de Craig Sterling se fait plus rapidement. Les producteurs l'ont déniché au Piccadilly Theatre après avoir été impressionnés par sa prestation dans "Man of Magic" où il jouait Houdini. William Gaunt, lui, est choisi plutôt que les quatre ou cinq autres acteurs pressentis pour le rôle de Richard Barrett d'une part car Cyril Frankel le connaît déjà pour l'avoir dirigé dans la série "Sergeant Cork" et d'autre part parce que Lew Grade, directeur d'ITC, possède aussi l'agence où Grant est inscrit. Quant au dernier "permanent" de l'équipe, Tremayne, Frankel le confie à son vieux complice Anthony Nichols.
Chaque épisode des Champions suit un découpage classique pour les séries de l'époque. D'abord, un gros plan sur une carte géographique situe la région du monde où va se dérouler l'action. C'est toujours sympa, pour réviser sa géographie. Puis débute une séquence pré-générique où des évènements mystérieux et dramatiques vont avoir lieu. Ces séquences sont souvent de véritables petits chefs-d'œuvre, qu'il faut particulièrement soigner puisque leur rôle est d'allécher le téléspectateur, de titiller son imagination pour lui donner envie d'en savoir davantage et, surtout, pour éviter qu'il se lève et change de chaîne (pour les jeunes : avant, on ne zappait pas, on levait ses fesses, ça en aurait calmé quelques-uns d'entre vous). Ainsi, au fil des épisodes, opérations de sabotage, meurtres raffinés, séances de sorcellerie et autres créatures étranges lancent nos Champions sur la piste de dangereux criminels. Le générique en lui-même est, il faut le reconnaître, assez niais. Sur une excellente musique de Edwin Astley, nous voyons les trois protagonistes vedettes, de trois-quarts, devant le célèbre jet d'eau du lac Leman (le siège de l'organisation à laquelle ils appartiennent étant à Genève). A tour de rôle, chacun est mis au premier plan, le nom de l'acteur s'affichant à l'écran, les deux autres restant en retrait et se regardant en souriant, plutôt niaisement. Le niveau remonte ensuite, avec des séquences assez brèves qui introduisent l'un ou l'autre des Champions ainsi que quelques-uns de leurs extraordinaires pouvoirs. Ces scènes sont totalement indépendantes de l'intrigue. Dans la même lignée que les petites séquences où John Steed vient déclarer, par les moyens les plus farfelus, "Mme Peel, on a besoin de nous!", à une Emma Peel étonnée, elles ne visent qu'à présenter les Champions dans des situations insolites où leurs talents exceptionnels font merveille. On voit ainsi Craig Sterling, imperturbable, récupérer sur les braises flamboyantes d'un barbecue la montre-bracelet de la non moins flamboyante brune qu'il a invitée à pique-niquer sur son balcon ; Sharron Macready, se débarrasser sans encombre des deux auto-stoppeurs trop entreprenants qu'elle avait fait monter dans sa ronflante MG B ; ou encore, Richard Barrett expédier avec précision une balle de golf à plusieurs centaines de yards de distance.
La suite des évènements se déroule invariablement dans le vaste bureau où siège le très sérieux et paternaliste Tremayne, en haut d'un building de la grande ville helvétique. Au cours d'un briefing concis, Tremayne expédie ses agents aux quatre coins du globe (contrairement aux Avengers, pour en revenir à eux, qui ne sortent jamais du territoire de Sa Très Gracieuse Majesté).
Les missions sont variées et, sur le papier, les destinations souvent lointaines. Mais les moyens financiers des producteurs de la série étant limités, Ryanair n'existant pas encore, les acteurs ne quittent guère les studios et évoluent devant des décors approximatifs. Quelques "stockshots" intercalés dans l'action viennent renforcer le réalisme. De même, il faut rentabiliser au maximum les décors. Ainsi, plusieurs épisodes se passent dans un sous-marin, afin d'amortir le coût du superbe kiosque en carton construit pour l'occasion. Cyril Frankel avoue même que l'épisode "La question", qui se passe du début à la fin dans une pièce où Craig Sterling est retenu prisonnier et soumis à un interrogatoire serré par un mystérieux personnage (Question... Champion... Bon sang mais c'est bien sûr ! C'est Julien Lepers !), a dû être réalisé parce que les crédits étaient épuisés. Il a été tourné en six jours, avec le moins de prises possibles, des décors dignes du cinéma thécoslovaque des années 50 et un casting réduit. Comme quoi on peut faire de la qualité avec trois bouts de ficelle...
Les scripts portent la signature d'auteurs aussi prestigieux que Dennis Spooner lui-même, Ralph Smart (le créateur de "Destination Danger"), Brian Clemens (dont le talent n'est plus à démontrer, tant son travail sur "The Avengers" est fantastique), Terry Nation, Philip Broadley ou encore Tony Williamson, écrivains prolifiques qui ont mis la patte à la plupart des grandes séries britanniques.
Voilà, j'espère vous avoir convaincu de l'intérêt des Champions. La prochaine fois, je parlerai d'une autre série sacrifiée, "Les espions". En moins de lignes, promis.
Grâce à leur forfait "Communication télépathique" illimité, Sharron et Craig gardent toujours le contact avec Richard
Champion d'élégance
Le petit-déjeuner des Champions
Pour finir, vous serez content d'apprendre que Morrissey était un grand fan d'Alexandra Bastedo, qu'il a fait figurer sur la pochette de l'album "Rank" des Smiths de 1988. Et également que la belle a posé pour le photographe Francis Giacobetti, pour le calendrier Pirelli 1970, l'un des plus réussis à mon humble avis.
Et Stuart Damon a enregistré en 1970 un album sous le nom quelque peu opportuniste de Stuart "Champion" Damon. Mais il paraît qu'il vaut mieux ne pas l'écouter.